Gemach

Maintenant ils étaient vieux, ils étaient tout usés, “comme de vieux meubles qui ont beaucoup servi, qui ont fait leur temps et accompli leur tâche”, et ils poussaient parfois (c’était leur coquetterie) une sorte de soupir sec, plein de résignation, de soulagement, qui ressemblait à un craquement.
Par les soirs doux de printemps, ils allaient se promener ensemble, “maintenant que la jeunesse était passée, maintenant que les passions étaient finies”, ils allaient se promener tranquillement, “prendre un peu le frais avant d’aller se coucher”, s’asseoir dans un café, passer quelques instants en bavardant.
Ils choississaient avec beaucoup de précautions un coin bien abrité (“c’est dans le courrant d’air, ni là: juste à côté des lavabos”), ils s’asseyaient – “Ah! ces vieux os, on se fait vieux. Ah! Ah!” – et ils faisaient entendre leur craquement.
La salle avait un éclat souillé et froid, les garçons circulaient trop vite, d’un air un peu brutal, indifférent, les glaces reflétaient durement des visages fripés et des yeux clignotants.
Mais ils ne demandaient rien de plus, c’était cela, ils le savaient, il ne fallait rien attendre, rien demander, c’était ainsi, il n’y avait rien de plus, c’était cela, “la vie”.
Rien d’autre, rien de plus, ici ou là, ils le savaient maintenant.
Il ne fallait pas se révolter, rêver, attendre, faire des efforts, s’enfuir, il fallait juste choisir attentivement (le garçon attendait), serait-ce une grenadine ou un café? crème ou nature? en acceptant modestement de vivre – ici ou là – et de laisser passer le temps.

(Tropisme XVI, pp. 99-100)

ex:
Nathalie Sarraute: Tropismes
Les Éditions de Minuit, Paris 1957

Werk und Autorin

[Archiv: Ursprünglich veröffentlicht am 10.08.2008.]

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